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Avec l’arrivée de l’IA, de nouvelles pistes d’exploration s’offrent aux archéologues et aux historiens. Mais encore faut-il maîtriser l’outil et savoir quoi en faire…

Ce que l'IA peut apporter aux archéologues spécialistes des civilisations précolombiennes d'après ChatGPT. © Dalle-E/MC
Ce que l’IA peut apporter aux archéologues spécialistes des civilisations précolombiennes d’après ChatGPT. © Dalle-E/MC

Vous n’avez pas pu y échapper. C’est un raz-de-marée ces dernières semaines. Tout le monde n’a que ce mot à la bouche : intelligence artificielle ou IA. ChatGPT, Mistral, Claude… Ces IA génératives capables de répondre à des questions et résoudre des problèmes, promettent de révolutionner le monde du travail, mais pas que.

L’IA pour découvrir des géoglyphes et décoder des manuscrits

Ainsi l’IA a permis de découvrir 303 nouveaux géoglyphes sur le plateau de Nazca indique Histoire et Civilisations. Ce sont des chercheurs japonais qui ont mené l’expérience. Ils ont pris en photo le site avec des drones. Puis ils ont fait analyser les images par l’IA. Et là, surprise, des géoglyphes en pagaille. «Avec l’IA, le taux de découverte est multiplié par 16», précisent-ils.

Montaña 23, Olga de Amaral © M.C.
Montaña 23, Olga de Amaral © M.C.

ChatGPT est très fort pour calculer et analyser une image. Olga de Amaral est une artiste colombienne, spécialiste du fiber art. Elle compose d’immenses tentures à base de crin, coton… Elle fait l’objet d’une exposition actuellement à Paris, à la Fondation Cartier. Une de ces oeuvres m’intriguait. Elle est composée d’une multitudes de carrés vert. Mais aucune explication n’est fournie. Combien y a-t-il de carrés verts ? Les compter un par un prendrait un temps fou. Alors j’ai pris la photo et je l’ai faite analyser par ChatGPT. Réponse basée sur une estimation de la machine : 2 491 carrés. Il faudrait évidemment vérifier sa réponse, il faut toujours vérifier ce que dit ChatGPT. Mais ça donne un ordre d’idée.

Dans son numéro de novembre 2024, National Geographic consacre un grand dossier au potentiel de l’IA. Un des articles revient sur la découverte de lettres sur un papyrus d’Herculanum sans le dérouler. Luke Farritor est étudiant en informatique. Il s’est pris de passion pour le sujet et a participé au Vesuvius Challenge. Ce dernier consiste en réussir à lire le document sans y toucher grâce au machine learning. Pour aller plus loin et continuer à déchiffer le papyrus très fragile, Luke Farritor s’est associé à un autre prodige, Youssef Nader. À eux deux et grâce à l’IA, ils ont révélé quinze colonnes de texte, soit près de 2 000 caractères.

Qu’en pensent les spécialistes ?

Des avancées majeures sont-elles possibles dans l’étude des civilisations mésoaméricaines ? Va-t-on faire parler des Codex jusqu’à présent inconnus ou des stèles illisibles ? Dans quelle mesure l’IA peut-elle aider les archéologues sur le terrain ? Est-ce que l’arrivée de cette nouvelle technologie peut-être comparable à l’arrivée du LiDAR ?

J’ai posé la question à plusieurs spécialistes. Voici ce qu’ils m’ont répondu :

Éric Taladoire, historien et archéologue : «Toute méthode qui apporte des résultats est bonne à prendre. Je pense qu’il faut distinguer deux thèmes différents : l’apport de l’IA à l’archéologie, et le déchiffrement de manuscrits. Pour ce qui touche au second, en effet, il existe en région maya plusieurs codex pétrifiés, soigneusement conservés dans l’attente de techniques qui permettraient de les ouvrir. L’application de ces nouvelles méthodes aux codex mayas devrait donc permettre une lecture (mais quand ?), du moins peut-on l’espérer. On peut aussi supposer des progrès dans le déchiffrement des inscriptions. En tout cas, on peut espérer des résultats dans un délai relativement court.

Pour l’autre question, il semble donc qu’à l’instar du LiDAR, l’IA puisse en effet accélérer la découverte de vestiges, et appliquée à la zone maya, permette d’amplifier la couverture du terrain. Ce serait déjà un résultat appréciable. Toutefois, l’accumulation de données brutes s’accompagne t’elle de recherches sur le terrain, d’interprétations, de datations ? Là nous sommes dans le long, voire le très long terme. Enfin, accumuler des données sans fouilles me semble dangereux, car comment protéger tous ces nouveaux sites, à la merci du pillage.»

Éric Taladoire vient de publier le livre «L’Expédition, quand la France envahissait le Mexique 1861-1867» aux Editions du Cerf, avec Rosario Acosta Nieva.

Johann Begel, archéologue : «On n’utilise pas l’IA pour le moment et c’est bien dommage. On pourrait en effet l’entraîner à cartographier les structures sur les relevés LiDAR, ce qui éviterait de passer des mois à tracer des rectangles et à donner des noms de code pour des dizaines de milliers, du genre : structure A-52, groupe A-10, préclassique, rituelle… etc…
On pourrait aussi l’utiliser pour déchiffrer tous les glyphes qu’on ne comprend pas encore… ou faire des comparaisons épigraphiques, ou relire les milliers de rapports de fouilles pour en extraire des statistiques sur une donnée précise comme la démographie.
Après au niveau de la fouille, je ne vois pas trop. C’est surtout de l’expérience de terrain qui permet d’avoir le bon feeling et la compréhension de ce qu’on est en train de sortir.»

Johann Begel est l’auteur d’une thèse sur les dépôts rituels à Tikal et l’auteur du livre «Sur les pas de Sina’n le Maya». Il travaille actuellement sur plusieurs livres de vulgarisations.

On pourrait penser par exemple à la constitution et à l’étude statistique de bases de données recensant des glyphes

Sylvie Peperstraete, historienne : «Concernant l’utilisation de l’IA pour l’étude des cultures anciennes, je pense qu’elle offre de belles opportunités pour autant qu’on l’emploie avec discernement. L’IA ne fera jamais le travail de réflexion à notre place, en revanche elle peut être un outil intéressant pour exécuter rapidement des tâches faisant appel à de grandes quantités de données – et faire ainsi gagner un temps précieux, qui peut se mesurer en mois voire en années.

Pour ce qui est de l’étude des codex, on pourrait penser par exemple à la constitution et à l’étude statistique de bases de données recensant des glyphes, atours de personnages ou autres éléments qui feraient ensuite l’objet d’une étude détaillée. Pour les manuscrits coloniaux, l’IA pourrait aider à la paléographie et à la traduction. Lorsqu’un document est trop détérioré pour être lisible, on pourrait espérer pouvoir malgré tout en récupérer une partie du contenu grâce aux nouvelles techniques d’imagerie. L’intervention humaine restera néanmoins toujours indispensable pour vérifier ce que propose l’IA et, surtout, pour l’interprétation des données.»

Sylvie Peperstraete a publié «À l’ombre de Quetzalcoatl. Les prêtres et l’organisation sacerdotale aztèques» et travaille actuellement sur un livre traitant des mythes aztèques et mayas, qui sortira l’année prochaine dans la collection «Que sais-je ?».

Rosario Acosta Nieva, archéologue : «À partir de photos aériennes de bonne qualité l’IA pourrait aider les archéologues à identifier des routes comme les sac-bé entre deux sites, typiques de l’aire maya. Mais d’une façon générale à repérer des grandes structures qui laissent peu de vestiges en surface et qui résultent difficiles à suivre sur le terrain lors de la reconnaissance de surface.

L’IA pourrait largement contribuer à mieux lire certains codex un peu effacés par le passage du temps, à combler les trous. Je pense que l’IA pourrait être aussi utile à déchiffrer les stèles mayas dont les gravures ont souffert des intempéries et se trouvent presque effacées. Je suis certaine que l’application de l’IA à l’archéologie va se développer très vite.»

Rosario Acosta Nieva vient de publier le livre «L’Expédition, quand la France envahissait le Mexique 1861-1867» aux Editions du Cerf, avec Éric Taladoire.