Rosario Acosta : «Pepita n’était en aucun cas Cendrillon»
Rosario Acosta et Eric Taladoire viennent de publier le livre Pepita, la femme du Traître. L’occasion de poser quelques questions sur la genèse du projet aux deux archéologues.
Mayazteque : Pourquoi avoir choisi d’écrire un livre sur ce personnage féminin ? On est loin de l’archéologie, votre spécialité !
Rosario Acosta : J’avais lu le magnifique roman de Fernando del Paso Noticias del Imperio ou Des nouvelles de l’Empire, en français, où il fait mention de Pepita. Un soir en discutant avec Eric qui avait aussi lu le roman, on s’est mis à chercher dans nos souvenirs d’autres lectures historiques sur l’époque et nous nous sommes rendu compte qu’on ne savait presque rien d’elle. Les rares auteurs qui y faisaient allusion se bornaient à dire qu’elle était la jeune épouse mexicaine de Bazaine.
Définir une femme par son mariage, aussi prestigieux soit-il, nous paraissait injuste. Surtout parce qu’elle a démontré avoir une tête bien faite puisque c’est la Petite Maréchale -comme on l’appelait à l’époque- qui conçoit le plan d’évasion de son mari et que pour le mener à bien, une bonne dose de courage de sa part a été nécessaire.
Nous pensions donc qu’elle méritait une recherche en bonne et due forme, même si on n’avait pas la moindre idée du volume d’informations qu’on pourrait obtenir, ni à quoi cela nous conduirait : à un article ? à une monographie ? à une biographie ? En fait, nous voulions satisfaire notre curiosité pour, ensuite, raconter l’histoire de Josefa de la Peña y Azcárate à notre façon, mais toujours sur des bases historiques et avec des références vérifiables.
C’est vrai que ce sujet s’éloigne de l’archéologie maya et l’archéologie funéraire, nos spécialités respectives, mais comme dit le dicton mexicain : « En la variedad, está el gusto » (dans la variété, on trouve le plaisir). Nous trouvions grisant de faire une incursion dans l’histoire partagée de nos deux pays d’origine.
Eric Taladoire : Nous sommes effectivement loin de l’archéologie, mais comme vous le savez, c’est aussi le Mexique qui nous tient à cœur. D’où, personnellement, un intérêt pour l’histoire du Mexique, très peu connue en France. J’ai déjà publié un livre sur un épisode bien oublié (Les Contre Guérillas françaises dans les Terres Chaudes du Mexique (1862-67). Des forces spéciales au XIXe siècle. L’Harmattan, Paris).
L’histoire de ce couple uni mais mal assorti nous a naturellement séduits. Enfin, à titre personnel, voir les événements de cette époque à travers un regard féminin et étranger me semblait une occasion d’apprendre, de renouveler ma façon de penser.
« Elle n’était en aucun cas Cendrillon » Rosario Acosta
Mayazteque : Qu’est-ce qui vous a le plus séduit chez cette femme ?
Rosario Acosta : Personnellement, le fait qu’une jeune fille de 17 ans accepte avec autant d’assurance et détermination la cour assidue d’un homme qui avait l’âge d’être son père et qui n’était pas très beau par-dessus le marché m’a beaucoup impressionnée. Il faut préciser qu’elle n’était en aucun cas une Cendrillon. Elle appartenait à une grande famille mexicaine qui comptait des hommes politiques et qui avait une position économique confortable. Ce n’était pas l’appât du gain qui la guidait. Je crois qu’elle cherchait un homme solide mais que, par ailleurs, elle a su desceller l’énorme tendresse dont le maréchal était capable. Dans Pepita, la femme du traître, nous faisons état du premier mariage de Bazaine pour montrer son côté chevaleresque et sa douceur sous l’armure du combattant. Donc ce qui m’a le plus séduit chez Pepita, c’est sa maturité qui lui a permis de comprendre que cet homme l’aimerait toujours et serait un bon mari et un bon père, même s’il n’était pas aussi beaux que les jeunes officiers de l’armée française qui lui faisaient aussi la cour.
Eric Taladoire : Outre la vision très contrastée qu’en ont les témoins de l’époque, je dirai que c’est sa droiture, tant envers son mari qu’à l’égard de ses parents. Elle a soigneusement évité de compromettre dans l’évasion tous ceux qui pourraient en souffrir.
Mayazteque : Le livre fourmille d’anecdotes, comme celle p.43 par exemple : « Jusqu’alors, personne n’avait entendu parler de Mme Bazaine, mais les journalistes poussant le romantisme à l’extrême, la comparent à George Sand jouant pour Chopin agonisant ». P.49, vous racontez son accouchement. D’où viennent de telles anecdotes ?
Rosario Acosta : L’allusion à Soledad jouant du piano pour d’Elchingen provient du récit du Conte d’Hérisson, cité dans la bibliographie. Cet auteur a publié, en 1888, La Légende de Metz. Quant à l’accouchement de Pepita et la citation « Les Prussiens ont un prisonnier de plus » provient de l’étude que José María Miquel y Vergés, historien mexicain, publia dans la prestigieuse Historia Mexicana (ouvrage encyclopédique en plusieurs tomes). Le titre pourrait se traduire par : « Pepita Peña et la chute de Bazaine ».
Eric Taladoire : Pour la première, il s’agit de récits de l’époque, donc d’un travail de recherche. Pour la seconde, il s’agit d’une reconstitution littéraire, sur la base des connaissances disponibles.
Mayazteque : Les recherches ont-elles été longues pour écrire ce livre ?
Rosario Acosta : En effet, les recherches ont pris des longs mois. Nous avons essayé d’être exhaustifs tant du côté des archives, comme de la recherche bibliographique, que ce soit en français, en espagnol ou en anglais. Une fois l’information collectée, il a fallu desceller les témoignages partisans qui pourraient donner une image déformée de Pepita Bazaine. Par exemple, certains opposants à son mari ne se sont pas privés de la traiter d’ambitieuse et de manipulatrice. Nous n’avons pas écarté ce genre d’affirmation, au contraire, nous les avons présentées suivis d’un commentaire qui fait part de nos doutes sur la véracité du témoignage.
La recherche fut une étape très excitante du travail car, au fur et à mesure qu’elle avançait, nous découvrions plus de facettes de la personnalité de cette femme.
Eric Taladoire : Oui, les recherches ont été longues. Disons un an. Il a d’abord été facile de trouver quelques documents de base, comme le récit de Maupassant. La littérature sur Bazaine est abondante, mais il a fallu trier pour dénicher des détails sur Pepita. Ensuite, la consultation des dossiers, aux Archives Nationales par exemple, a fourni un abondant matériel. Internet nous a facilité l’accès à de nombreux documents. Après, il faut suivre toutes les pistes, un nom, une date, croiser les informations, critiquer. Et recommencer, jusqu’à avoir un résultat satisfaisant.
« Pour moi c’est évident qu’elle avait le sens pratique de celui qui sait que le futur n’est jamais acquis » Rosario Acosta
Mayazteque : Pepita semblait avoir le sens pratique et le sens des affaires. Vous écrivez p.83 qu’elle achète un hôtel, avenue Joséphine. Elle choisit d’investir dans la pierre. Est-ce qu’on peut dire que c’était une femme moderne pour l’époque ? C’était une épouse, une mère, mais pas seulement.
Rosario Acosta : Pour moi c’est évident qu’elle avait le sens pratique de celle qui sait que le futur n’est jamais acquis et qui voulait assurer un avenir correct à sa famille. Je pense aussi que, par rapport, aux femmes de l’époque, oui, elle était en avance. Madame la maréchale était une respectable mère de famille qui n’était pas censée se préoccuper de l’argent car au XIXe siècle c’était l’affaire des hommes. Mais elle a investi elle-même son argent judicieusement. Ce fut une décision heureuse car la vente de ce bien immeuble ainsi que celle de ses bijoux ont fait vivre la famille quand la situation s’est dégradée.
Eric Taladoire : On peut dire que c’était une femme moderne pour l’époque. Cela étant, cela n’est-il pas un peu le fait d’une vision partiale du rôle des femmes dans le passé, en fonction de nos critères et préjugés ? Je ne veux pas dire que la place ou le statut des femmes était enviable, mais inversement, on oublie trop facilement combien de femmes ont joué à la même époque que Pepita un rôle de premier plan. La liste est longue : George Sand, Sarah Bernardt, Eugénie, la reine Victoria, la comtesse de Ségur, Louise Michel et tant d’autres. On tend un peu à juger le passé à l’aune de nos préjugés.
« Il nous a semblé nécessaire de rendre justice à une femme remarquable, oubliée aussi bien France qu’au Mexique » Eric Taladoire
Mayazteque : Pourquoi a-t-elle mis en place l’évasion de son mari à votre avis ? Par amour ? Parce qu’elle n’en pouvait plus de cette vie ?
Rosario Acosta : Elle trouvait injuste l’incarcération de son mari, mais je pense que ce qui l’a décidée à mettre son plan à exécution était la peur de le voir mourir prématurément car la santé du maréchal se dégradait du fait de l’inaction à laquelle, en tant qu’homme de terrain, il n’était pas habitué. Je crois qu’elle l’aimait sincèrement et que cette entreprise échevelée est une sorte d’acte d’amour pour lui, pour lui rendre sa dignité d’homme libre et pour le garder en vie le plus longtemps possible.
Eric Taladoire : Je pense personnellement que c’est précisément sa droiture qui a joué : elle était sincèrement amoureuse de son mari et elle a été profondément choquée de sa condamnation qu’elle jugeait injuste. Je pense qu’elle a conçu le projet d’évasion dès la condamnation, comme le suggèrent les préparatifs, donc bien avant les difficultés du séjour à Sainte-Marguerite.
Mayazteque : A la toute fin du livre vous évoquez une « timide réhabilitation » du personnage de Pepita. Le but du livre est de mettre votre pierre à cet édifice ? Aider à sa réhabilitation ?
Rosario Acosta : Nous voulions d’abord attirer l’attention sur une période historique mal connue en France, le pays d’origine de mon co-auteur et qui a impliqué un conflit avec le Mexique, mon propre pays d’origine. Personnellement je n’avais même pas songé à la réhabilitation, je voulais juste raconter l’histoire d’un personnage qui mérite d’être connu. Mon idée, à travers cette biographie, c’était de susciter l’intérêt sur une femme mexicaine exceptionnelle par son courage et détermination. Je pense que la faire connaître du public est primordial, après le lecteur décidera si elle mérite ou non d’être réhabilitée.
Eric Taladoire : Une réhabilitation est du domaine public, donc hors de nos possibilités comme de nos intentions. En revanche, il nous a semblé nécessaire de rendre justice à une femme remarquable, oubliée aussi bien en France qu’au Mexique.
Jeudi 7 mars, Rosario Acosta et Eric Taladoire présenteront leur livre Pepita, la femme du Traître, aux côtés de Juan Manuel Gomez-Robledo, ambassadeur du Mexique en France à partir de 18h30 à l’Institut culturel du Mexique à Paris. 119, rue Vieille-du-Temple, 75 003 Paris.