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Dans «Après nous les animaux», Camille Brunel invente une déambulation animale dans un Mexique dévasté en proie à des tremblements de terre. Rencontre avec un auteur très bavard !

Couverture Après nous les animaux
Couverture Après nous les animaux

Que se passera-t-il quand les humains auront disparu ? Que vont faire les animaux ? Comment vont-ils réagir ? Après avoir embarqué les animaux du cirque de son père dans un bateau, Aria meurt durant la traversée qui les amène au Mexique. Quand le bateau débarque sur la cote du Yucatán, les animaux sont livrés à eux-mêmes. Commence alors une déambulation sans fin au Mexique. Les animaux vont traverser des villes abandonnées mais aussi des sites archéologiques connus : Palenque, Chichen Itza, Teotihuacán…

Pour ce nouveau livre, Camille Brunel déjà auteur de «Les Métamorphoses», s’est inspiré des civilisations précolombiennes en les transformant à sa sauce. «On est vraiment dans une sorte de cosmogonie animalière pré-hispanique où tout procède du sang versé, où les dieux doivent mourir pour préserver le monde de sa destruction», explique l’auteur sélectionné pour le prix Renaudot 2020.

Mayazteque : Vous avez écrit ce livre en deux mois. Comment avez-vous travaillé ? Des journées continues de 8h à 19h ?

Camille Brunel : C’est pire que ça en fait ! Je devais rendre le manuscrit fin janvier 2020, en commençant théoriquement à l’écrire début décembre. Sauf que le 15 décembre 2019, je partais au Mexique. J’ai bouclé la première partie le soir du réveillon. Dix jours plus tard, j’ai eu le feu vert pour continuer. J’ai écrit la deuxième partie en allant au Museo de Antropologia tous les jours. Je faisais un tour dans les collections puis je me posais à la cafétéria et je travaillais. La fin a été écrite dans l’avion du retour, en plein milieu des turbulences au-dessus des Bahamas. Revenu en France, j’ai décidé d’écrire une partie par jour. Pendant sept jours, souvent la nuit de 23h à 4 ou 5h du matin.

Mayazteque : D’où vous est venue l’idée de cette déambulation d’un groupe d’animaux, seuls survivants dans cet « après-monde » ?

C.B. : Sachant mon goût pour les animaux, mon éditeur m’a mis au défi d’écrire un roman strictement animalier, avec des animaux qui ne seraient pas anthropomorphisés. C’était une idée de rêve, le livre qu’il aurait fallu que j’écrive un jour de toute façon. Au début, j’ai envisagé de me centrer sur un groupe d’oiseaux migrateurs, mais je n’aimais pas l’idée de rester cantonné à une seule espèce. J’ai eu l’idée de l’arche assez vite, de même que l’idée que tous les humains disparaîtraient dès les premières pages.

« Le Mexique m’a toujours fasciné »

Mayazteque : Pourquoi avoir choisi de situer l’intrigue du livre au Mexique ?

C.B. : Le Mexique m’a toujours fasciné, à tel point que je suis tombé amoureux d’une Mexicaine que je suis parti rencontrer, sans la connaître plus que cela, à l’aéroport de Mexico, en mars 2019. On a passé trois semaines ensemble, puis elle est venue passer cinq semaines en Europe, en septembre 2019. Je suis reparti la voir aussi vite que j’ai pu, en décembre de la même année, pour cinq semaines. Et ensuite, c’est l’éditeur qui m’a donné le coup de pouce dont j’avais besoin en m’autorisant à aller dans la direction qui me séduisait tellement que j’osais à peine l’emprunter : situer TOUT LE LIVRE au Mexique.

Mayazteque : On voyage à travers tout le pays au fil du livre, est-ce un pays que vous connaissez bien ?

C.B. : J’y ai donc passé huit semaines en tout et pour tout, aux côtés d’une Mexicaine pur jus, native d’Ecatepec, où elle a toujours sa famille. Nous sommes allés visiter le sanctuaire des papillons monarques dès ma première semaine là-bas. Ensuite, comme je voulais aller au Bélize aussi, nous avons passé quelques jours dans le Quintana Roo, puis nous avons poussé jusqu’au Campeche, à Calakmul, et au volcan des chauves-souris qui est juste à côté. Bien sûr, elle m’a fait découvrir Mexico. Nous avons passé une journée à Xochimilco avec sa famille. Nous sommes aussi partis passer le jour de l’an 2020 dans le Nayarit, à Punta Mita qui est décrit dans le bouquin, à la bouteille de Gin près ! J’ai visité Teotihuacán aussi, le jour de l’équinoxe de printemps 2019. Tout le reste est imaginaire…

Mayazteque : Les traditions des Aztèques ne sont jamais loin. Vous intéressez-vous à l’histoire des civilisations pré-hispaniques ?

C.B. : J’avais consacré un bon kilo de ma valise à l’aller pour emporter avec moi le magnifique bouquin sur les Mayas de Courau et Taladoire, auquel je me suis souvent référé. L’idée était vraiment de raconter une nouvelle forme de Conquista et de proposer un nouveau mélange de symboles chrétiens et aztèques ou mayas. De nombreuses scènes sont des réécritures des mythes pré-colombiens, à commencer par le sacrifice de Quetzal, au début ! Je voulais absolument que le roman ait neuf parties comme l’inframonde Maya. L’aigle et le jaguar sont là parce que ce sont des symboles très forts, et très riches. Il y avait aussi en janvier 2020 une exposition au Templo Mayor consacrée aux présages de la chute de Tenochtitlan. J’y suis allé, j’ai pris des notes, choisi mes symboles préférés, et je les ai quasiment tous calés quelque part en particulier dans la scène du tremblement de terre à Mexico. J’aimerais bien m’y replonger à l’avenir pour un second livre sur le Mexique. Ça me passionne.

«Tout est extrêmement plausible»

Mayazteque : Certains animaux développent des sentiments et facultés, dignes d’êtres humains. Vous êtes-vous appuyé sur des études scientifiques ou est-ce totalement imaginaire ?

C.B. : J’ai tenu à être très rigoureux dans la représentation des états mentaux et des comportements de mes personnages. Je me suis donc énormément renseigné. L’éthologie cognitive et les neurosciences ayant fait des pas de géants ces dix dernières années, on peut avoir l’impression que ce que je décris chez les animaux relève de l’imaginaire. Sauf que pas du tout ! Je n’ai pas encore eu de retours de professionnels, mais compte tenu des lectures qui ont été les miennes (Jane Goodall, Frans de Waal, Carl Safina, Eric Baratay… plus une flopée de documentaires BBC et de publications scientifiques), tout est extrêmement plausible. Le seul personnage à être concerné par l’anthropomorphisme, Marguerite (Ndlr : un chimpanzé), l’est délibérément. Marguerite me permet de contraster avec le comportement des autres animaux, elle me permet de dire : voilà, ça, c’est de l’anthropomorphisme. Le reste, non !

Mayazteque : La scène finale est très symbolique. Elle aurait tout aussi bien pu être un début de l’épopée si l’on se fie à l’histoire du Mexique et de ses civilisations, non ?

C.B. : Exactement !! C’est ce que dit la phrase d’Octavio Paz en exergue, c’est le retour à l’origine, le retour de nouveaux dieux… mais sans personne pour les adorer, ce qui n’est pas plus mal en ce qui les concerne. C’est à la fois le retour des dieux, le retour des humains (puisqu’on peut imaginer un début de civilisation), le retour des animaux (enfin tranquilles, enfin indépendants…). On est vraiment dans une sorte de cosmogonie animalière pré-hispanique, où tout procède du sang versé, où les dieux doivent mourir pour préserver le monde de sa destruction. Mais j’aime aussi l’idée qu’on puisse se dire : si ça se trouve, ce n’est rien de tout ça. Si ça se trouve, ces animaux sont juste enfin tranquilles et ils vont vivre comme ils l’entendent, paisiblement. Sans mythes, sans rituels, sans rien, juste sereins et ensemble. Ce qui ne serait déjà pas mal !

Après nous les animaux de Camille Brunel, Casterman. 349 pages, 16 euros.